Entre disruption et transformation, le blues des innovation labs
Je ne compte plus les innovation labs, qu’ils soient chez les corporate ou les administrations, qui ont un véritable coup de mou ces…
Je ne compte plus les innovation labs, qu’ils soient chez les corporate ou les administrations, qui ont un véritable coup de mou ces jours-ci. On doute de leur utilité ou on leur reproche leur manque de résultats alors que les équipes se démènent avec passion. Et si c’était un problème de cadrage de leur mission ?
Une grande majorité de labs se voit confier en effet un double objectif :
1/ inventer métiers de demain et relais de croissance, notamment en explorant les technologies, dans une perspective de disruption ;
2/ mettre à la page l’existant par l’intelligence collective et insuffler un esprit entrepreneurial dans l’entreprise pour faciliter la transformation numérique.
Sur le papier, tout va bien. Après tout, on parle bien dans les deux cas d’expérimentations itératives, de nouvelles technologies, de post-its sur les murs et de designers en baskets dans un lieu sympa, non ? Non. Sur le terrain, c’est une réalité schizophrénique que vivent les équipes, et le meilleur moyen de n’avoir aucun résultat…
Les mots “disruption” et “transformation” font aujourd’hui partie du discours politique, et représentent le passage obligé des plans stratégiques de nos grandes entreprises. Or, tant se disrupter soi-même pour s’inventer un futur dans un monde en pleine mutation que transformer le présent reposent sur une dialectique. Leur synthèse, séduisante intellectuellement, car mariant la modernité à l’inclusion, est sur le terrain extrêmement difficile tant ces deux injonctions en appellent à des états d’esprit et des moyens différents.
Dans le cas de la transformation numérique, la posture est celle de la catalyse, du temps long et du rassemblement. Dans le cas de la disruption, il faut de l’hyper-focalisation, une approche entrepreneuriale et commando.
Pour accompagner la transformation numérique, la gestion du risque est prioritaire pour “conduire le changement” de la manière la plus douce possible et lever progressivement les résistances. Pour aller vers la disruption, ce même risque est recherché, car source d’opportunité.
Ce dilemme “disruption contre conduite du changement” constitue une vraie complexité pour les équipes des labs. Par exemple, pour le staffing : recrutons-nous des entrepreneurs et des expertises pointues ou des facilitateurs et des ambassadeurs de l’intelligence collective ? Pour les moyens aussi : créons-nous de réels moonshots financés par du corporate venture ou multiplions-nous les hackathons et concours d’innovation intrapreneuriale ? Travaillons-nous sur la création de nouveaux business models ou à l’amélioration incrémentale de l’expérience client, en levant les painpoints par la technologie ? Mesurons-nous notre succès à la création de valeur de nos initiatives ou à l’amélioration de l’image interne et externe de l’entreprise ?
Alors, comment faire ? Après quelques années d’expérience terrain sur le sujet, je recommande de séparer clairement les dispositifs de disruption des programmes d’acculturation culturelle à l’innovation. D’autant que, sur ce versant, je suis toujours surpris de voir que les labs se marchent allègrement les pieds avec les programmes de transformation digitale qui existent souvent par ailleurs. Aux uns, la mission d’avancer à marche forcée vers le futur ; aux autres, la lourde tâche de modifier progressivement les organisations pour les adapter à une nouvelle donne. Avec l’espoir qu’un jour les deux se rejoignent.
Initialement paru dans le Cercle Les Echos le 8 novembre 2018 : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-entre-disruption-et-transformation-le-blues-des-innovation-labs-146074